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La semaine dernière, je vous montrais comment lire un compte de résultat. Aujourd’hui, on va voir ensemble comment l’analyser.
C’est une étape importante de votre analyse fondamentale : analyser l’évolution des différents postes du compte sur les 5 dernières années, s’assurer qu’elle ne perd jamais d’argent (même quand les temps sont durs), évaluer les dépenses et comparer les performances avec un concurrent.
On va donc reprendre le compte de résultat de L’Oréal sur les 5 dernières années, analyser tous les points importants et le comparer à celui d’Estée Lauder, sa concurrente historique, au cours de la même période.
1. Analyse des tendances
La première étape, c’est d’observer les tendances des différents postes. Idéalement, on veut que le chiffre d’affaires augmente régulièrement avec le temps, alors que les dépenses restent proportionnellement stables (voire diminuent), de sorte que le revenu net augmente dans la même proportion (ou mieux) que le chiffre d’affaires.
On commence avec le chiffre d’affaires : on observe une évolution constante du chiffre, sauf en 2020, année de la pandémie. Lors de telles crises, il est normal que les chiffres se détériorent. Mais les meilleures entreprises sont assez résilientes : il y a une petite baisse l’année de la crise, puis les chiffres repartent rapidement à la hausse, comme on peut le voir avec le chiffre d’affaires de L’Oréal.
Ensuite, on voit que le coût des ventes suit normalement l’évolution du chiffres d’affaires, idem pour les charges d’exploitation et le résultat opérationnel.
Puis, au niveau du résultat net, on va s’assurer que :
il ne soit JAMAIS négatif (même lors des crises - sinon, l’entreprise perd de l’argent),
il soit peu cyclique (il évolue de manière linéaire, il ne fait pas des montagnes russes - lors des crises, il peut baisser légèrement avant de repartir à la hausse), et
il suive l’évolution du reste des chiffres.
Ici, on voit que le résultat net décroche déjà légèrement en 2019. La différence provient du supplément de provision pour impôts (normal puisque le résultat opérationnel est supérieur) et du résultat hors exploitation où L’Oréal accuse une perte de 136 millions €. Ce n’est pas idéal mais ce n’est pas catastrophique : la perte est minime et ne concerne pas l’activité opérationnelle de L’Oréal. Le résultat net n’est jamais négatif et reprend la même évolution que le chiffre d’affaires dès 2021.
Enfin, le bénéfice par action dilué (bénéfice net / nombre d’actions) suit normalement l’évolution du résultat net. Dans le cas contraire, il faudrait vérifier si l’entreprise a émis de nouvelles actions et comprendre pourquoi.
Globalement, pour L’Oréal, il n’y a rien de particulier à signaler. On reconnaît une entreprise qualitative, dont le chiffre d’affaires et le résultat net évoluent à la hausse de manière linéaire et absorbent aisément les crises.
2. Analyse des marges et de la croissance
Avec les fluctuations des différents chiffres, ce n’est pas toujours facile d’apprécier correctement l’évolution des chiffres au cours du temps, ni le rapport entre le chiffre d’affaires et les résultats.
Pour approfondir un peu l’analyse, on va donc maintenant calculer les marges brute, opérationnelle et nette de L’Oréal ainsi que le taux de croissance moyen annualisé (CAGR) du chiffres d’affaires, du résultat net et du bénéfice par action dilué.
On a vu comment calculer les marges la semaine dernière : il suffit de diviser le résultat correspondant (brut, opérationnel, net) par le chiffre d’affaires.
La formule du taux de croissance moyen annualisé est la suivante :
CAGR = [(valeur finale / valeur initiale) ^ (1 / nombre d’années) - 1]
Appliqué au chiffre d’affaires de L’Oréal, la formule est donc la suivante :
CAGR CA = [(38.260,60 / 26.937,40) ^ (1/5) - 1] = 7,27%
Voilà le résultat :
On voit que les marges de L’Oréal sont extrêmement stables : environ 73% pour la marge brute, 19% pour la marge opérationnelle et 13% pour la marge nette.
Et comme on l’a vu la semaine dernière également, ce sont des marges plutôt élevées qui révèlent un avantage compétitif durable, voire un pouvoir de fixation des prix. L’entreprise apporte beaucoup de valeur et ses clients le reconnaissent à chaque fois qu’ils achètent un de leurs produits.
On voit également une tendance haussière de la marge opérationnelle. Cela indique que L’Oréal peut augmenter son chiffre d’affaires (prix et volume de produits vendus) sans que cela n’entraîne une augmentation proportionnelle de ses dépenses d’exploitation. On appelle ce phénomène le levier opérationnel.
Du point de vue de la croissance, on voit que le chiffre d’affaires a augmenté en moyenne d’un peu plus de 7% par an au cours des 5 dernières années. Pour une entreprise de la taille de L’Oréal, c’est bien, mais ce n’est pas non plus exceptionnel.
Cependant, on remarque que le résultat net augmente plus rapidement que le chiffre d’affaires, ce qui indique à nouveau le levier opérationnel de l’entreprise. On voit aussi que le bénéfice par action dilué augmente plus rapidement que le résultat net, ce qui indique que L’Oréal a procédé à des rachats d’actions au cours du temps.
3. Comparaison avec un concurrent
Maintenant qu’on a bien analysé le compte de résultat de L’Oréal et qu’on dispose d’une référence dans l’industrie des cosmétiques, on va pouvoir comparer les résultats de L’Oréal avec ceux de son concurrent historique : Estée Lauder.
Voici le tableau récapitulatif pour les deux entreprises :

On remarque que le chiffre d’affaires d’Estée Lauder a connu une belle progression jusqu’en 2022, avec une baisse très faible en 2020. Par contre, on observe une baisse conséquente en 2023 (du 30 juin 2022 au 30 juin 2023), contrairement au chiffre d’affaires de L’Oréal qui continue de grandir.
Le résultat brut et le résultat d’exploitation suivent l’évolution du chiffre d’affaires, alors que le résultat net baisse déjà en 2022, avant de s’écraser en 2023.
Naturellement, tout ceci se répercute sur les marges et sur la croissance.
Les marges de 2019 sont comparables à celles de L’Oréal en 2018, mais plus le temps passe, plus elles sont volatiles et tendent vers le bas, avec même une marge nette à un chiffre sur deux années.
La croissance du chiffre d’affaires est très faible sur ces 5 années. La croissance du résultat net et du bénéfice par action sont mêmes négatives.
On voit rapidement que L’Oréal est une entreprise qualitative : ses chiffres sont en croissance linéaires, elle a bien absorbé la crise de 2020 et ses marges sont stables voire s’améliorent. Au contraire, Estée Lauder s’essouffle. Ses chiffres sont volatils, ses marges s’amenuisent et sa croissance correspond probablement à une perte de parts de marché.